Jean Marc de Samie : une très longue attente
par Alain Paire
Jean Marc de Samie habite un village proche de La Ciotat. Les sentiers
des calanques, les parages du Bec de l'Aigle sont des contrées
qu'il arpente continûment. Il s'était tout d'abord
consacré au travail du sculpteur. À la fin des années
soixante, il fréquentait intensément le ciné-club
de la ville des frères Lumière. Il se souvient avoir
nuitamment collé des affiches, des messages de protestation
à l'adresse d'un ministre qui censurait La Religieuse de
Rivette. Au fil des ans, la bibliothèque d'un voisin qui
l'hébergeait, l'historien de la Révolution française
et de l'anarchisme
Daniel Guérin
, une librairie de Marseille, La Touriale des années
soixante-dix, des lectures publiques qu'organisait Jean-Luc Sarré
au Musée Grobet-Labadie, son amitié pour Christian-Gabriel
Guez-Ricord furent quelques-uns des creusets à partir desquels
s'imposa chez lui le désir de pratiquer l'art du portrait.
Parmi les photographies qu'il est heureux
d'avoir composé, il aime montrer ses cadrages des
visages silencieux de Claude Louis-Combet, de Roger Munier, de Philippe
Jaccottet ou bien de Bernard Noël. Jean Marc peut brusquement
décider de se rendre en Suisse ou en Bretagne pour rencontrer
un écrivain qu'il vient de découvrir, ou bien
un philologue, traducteur de textes irlandais du Moyen-Âge.
Il voudrait que ses photographies lui permettent de remercier les
auteurs qui le hantent. Dans une lettre privée, Yves Bonnefoy
écrit que Jean Marc de Samie oeuvre pour que ce qui semble
une simple technique d'enregistrement se révèle
un instrument de connaissance. Il tente de restituer l'ancrage
d'une note noire et blanche, la survenue d'une personne
: un silence, le départ ou bien l'écart d'une
voix.
Pendant les soirées du cipM, on l'aperçoit
dans les premiers rangs, parmi les fauteuils sombres et les volets
clos qui entretiennent une atmosphère de vieux cinéma,
en face des tables où les écrivains prennent la parole.
Son attente est parfois longue, ses flashes n'interviennent
pas fréquemment. Il guette la possibilité d'un
moment de calme et de sobriété, un respect d'autrui
ou bien un souci d'amitié qui ne relèvent pas
de la séduction pas plus que de la puissance. Once seen,
never forgotten. On retrouve dans ses images la prescience d'un
instant d'exactitude : le vu et le voyant, le locuteur et
l'auditeur, l'écriture et son moment de profération,
la fièvre et l'intériorité deviennent
compatibles. Quand son attente prend forme, les démarquages,
les défenses et les protections, les vieux automatismes se
sont effacés. Un desserrement vient d'opérer,
des moments de très fine bascule interviennent : les blocs
de mots, les regards, les équilibres, les rêves et
les urgences trouvent leurs intervalles, l'écoute
et l'attention du public font surgir de nouvelles dimensions.
Les circonstances sont autres, le visage du poète qui poursuit
sa lecture n'est pas simplement celui d'un étudiant,
le masque évasif d'un fonctionnaire, l'improbable
rictus d'un type qui pourrait devenir marchand d'armes.
Les raideurs et les conventions, la part qui revient au monde social
s'atténuent. Il ne s'agit certes pas d'Isidore
Ducasse, d'Ezra Pound, de Shakespeare ou bien d'Homère.
Les rugueux et les rebelles, les clercs et les fâcheux l'ont
cent mille fois répété, l'écrivain
n'est pas l'auteur. Rétif ou bien perméable,
le visage de cette personne qu'il photographie est un entre-deux,
un nom commun à peine différent de ceux que l'on
aperçoit quotidiennement. On imagine Fantin-Latour et Etienne
Carjat qui croisèrent Rimbaud et les Parnassiens, Nadar que
Baudelaire tutoyait et qui portraitura Nerval quelques jours avant
son décès, Brassaï passionné par les techniques
narratives de Proust ainsi que par ses observations sur les images
latentes ou bien sur la mémoire involontaire, Gisèle
Freund qui rédigeait sa thèse à la Bibliothèque
Nationale non loin de Walter Benjamin, vêtu d'un costume
sombre dont les manches étaient devenues trop courtes à
force d'usure, Denise Colomb en face d'Antonin Artaud
qui accepta de s'asseoir sur un petit fauteuil Directoire.
On songe à Truffaut découvrant dans La Chambre verte
un portrait d'Audiberti, on pense à Marc Trivier,
terriblement démuni quand il rencontre Jorge Luis Borges
dans un hall d'aéroport. Ici, sur les traits d'un
visage qui se souvient d'un disparu, d'une page d'autrefois,
d'une querelle, d'un désastre ou bien d'une
joie, dans l'inflexion d'une voix, dans la mouvance
d'un regard qui s'épuise, l'intranquillité,
les énigmes, les ralentissements et les tensions, les rythmes
et les surprises d'une scansion qu'on appelle faute
de mieux poésie tracent leur voie de frayage. Le 14 juin
1990, Maurice Blanchot répondait au courrier de Jean Marc
de Samie qui lui adressait huit jours auparavant un portrait d'Emmanuel
Lévinas. Voici quelques-uns des fragments de la lettre de
Blanchot :
Vous
me demandez aussi ce qu'évoque le mot « visage
». Précisément, Lévinas nous l'a
dit d'une manière profonde : le visage est autrui,
l'extrême lointain qui tout à coup se présente
de face, à découvert, dans la franchise du regard,
dans la nudité d'un abord que rien ne défend,
lorsqu'autrui se révèle à moi comme
ce qui est en dehors et au-dessus de moi, non pas parce qu'il
serait le plus puissant, mais parce que là cesse mon pouvoir...
Je me heurte, face au visage, à la résistance de ce
qui ne me résiste en rien.
écrit et publié
pour l'exposition
Jean Marc de Samie : Quinze
ans de photographie
(in "Cahier du Refuge" : Quinze
ans du cipM, 2005, cipM) |
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JEAN MARC DE SAMIE
né le 9 février 1945 à La Ciotat, Bouches du
Rhône
jm.desamie@free.fr
ACTIVITES PHOTOGRAPHIQUES
(depuis 2000) :
Expositions :
• “Photographies du poète Philippe Jaccottet”,
septembre 2001
• Monastère de Saorge, “l'Immèdiat Insigne”,
photographies de paysages et textes de Bernard Noël, juillet
/ septembre 2003
• Librairie-Galerie, Alain Paire et Librairie “Vents
du Sud”, Aix-en-Provence,avec Anne-Marie Jaccottet, décembre
2003,
février 2004, ( photographies du poète Philippe Jaccottet
)
• Exposition personnelle, Ceyreste, sculptures et photographies
de paysages, mars / avril 2004
• Galerie Remarque, Trans-en-Provence. Photographies du poète
C.G.Guez Ricord et oeuvres sur papier du poète. novembre
2004 - janvier 2005
Illustrations :
• Editions Le Cherche Midi, 2000, (Yves Broussard)
• Editions de la Bibliothèque Nationale de France,
2000, (Edmond Jabès)
• La Quinzaine Littéraire, n°780, 2000, (Jacques
Dupin)
• La Quinzaine Littéraire, n°781, 2000, (Jean-François
Bory)
• cipM / Centre National des Lettres, 2000 (Jean-François
Bory) CD, Editions des Musées de Marseille / cipM,
1993 et 1995
Le Journal TAKTIK, Marseille, depuis 1990
• "Le Cahier du Refuge", Les 10 ans du cipM,
1990-2000
• "CCP, Cahier Critique de Poésie" n°1,
(Pierre Guyotat),
n°2, (Louis-René des Forêts),
n°4, (Roger Lewinter),
n° 7, (Jean-François Bory)
• "Le Petit Vehicule" n° 45, La Bokal, Marseille,
2000
• "Le Grand Livre de Jean-Luc Parant", Editions
de La Différence, 2000
• Catalogue de la Biennale Internationale des Poètes
en Val-de-Marne,novembre, 2001
• Affiche exposition "ABC du galet" , Michéa
Jacobi ,cipM, 2001
• "Lettres d'Aquitaine", février
/ mars 2001, (Louis-René des Forêts), Catalogue de
la Cité du • Livre “ Les Ecritures Croisées
“, Aix-en-Provence, (Jacques Dupin), mars 2001, (Jean Todrani),
mars 2004
• cipM éditeur : "Damas / Marseille"
et "Beyrouth / Marseille", octobre 2002
• Catalogue "Käthe Kruse", Martin Schmitz
Verlag, Berlin, 2002
• NORD / SUD, Passage, n°5, 2002, (Jean-Jacques Viton)
• Les Rencontres poétiques de Montpellier, Affiches
de Emmanuel Laugier, janvier 2003
et Caroline Dubois, mai 2003
• Editions Nathan, collection "Baluchon , Le•
Toit du Monde", les Bhoutanais, 2003
• Collabore avec le mensuel de la littérature contemporaine,
"Le Matricule des Anges"
• Collabore avec le journal "Le Monde"
• "Les Copains d'la Neuille" automne / hiver
2003 / 2004, n°5 (Richard Martin)
• Mentionné dans le "Magazine Littéraire",
n°424, octobre 2003, "Du visage", p 28, sur : "l'écrivain
de la solitude essentielle", (Maurice Blanchot)
• Le Magazine "EPOK" n°42, décembre
/ janvier 2004, (Josée Lapeyrère)
• Le Nouvel Observateur, n°2052, mars 2004, (Frédérique
Guetat-Liviani)
• cipM éditeur : Tanger / Marseille, mars 2004
de très nombreuses photographies de poètes
sont consutables sur le site du cipM : www.cipmarseille.fr.
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